A lire ici : le chapitre 4 du roman Ganaël et Agathe.

Ce quatrième chapitre raconte la suite des aventures de Ganaël, un descendant des elfes vivant à notre époque moderne, mais qui a conservé néanmoins quelques-uns des talents spécifiques de ses ancêtres.
Par exemple une ouïe si fine qu’il peut capter le tapotement feutré des pas d’une fourmi sur le sol. Ou encore distinguer le nom inscrit sur une boîte aux lettres à un kilomètre de distance.
Pour en savoir plus au sujet de cette série de romans, voyez la rubrique L’univers de Ganaël.
Rappel des chapitres précédents.
Alors qu’il passe des vacances d’hiver dans une petite station retirée des Alpes (à proximité de Chamonix), Ganaël croise lors d’une descente à ski une jeune fille – bien trop légèrement vêtue en cette frise saisons – qui de plus s’enfuit devant lui en l’apercevant.
Intrigué, il fait part de son aventure dans la salle du café-hôtel où il est descendu, s’attirant les foudres d’un des habitués des lieux.
Décidé à en savoir plus sur cette jeune fille, il interroge quelques personnes. Mais sitôt la description donnée, les visages se ferment et tous prétendent qu’il n’existe aucune jeune fille dans le village, que des vieillards et de jeunes enfants.
Pire, on le menace même physiquement s’il persiste dans ses recherches.
Toutefois, ce que les villageois ignorent, c’est que Ganaël est d’une autre trempe que celle d’un simple vacancier.
Le voilà désormais résolu à trouver qui est cette jeune fille.
A lire : texte du chapitre 4 du roman.
(Texte publié avec l’autorisation de l’auteur. Sous copyright de Patrick Huet. La reproduction de citations est libre et autorisée. Mais pour la reproduction de passages plus longs, voire du chapitre entier, veuillez vous rapprocher de l’auteur pour en obtenir une autorisation écrite.)
UN GUETTEUR VIGILANT.
Le lendemain matin au cours du petit déjeuner, les nouvelles amies de Ganaël lui proposèrent de skier ensemble. Il déclina leur offre, ce qui les surprit hautement. Il avait en tête d’autres projets. Ses explications ne les émurent nullement. Elles insistaient tellement qu’il finit par s’éclipser discrètement lors d’un moment d’inattention.
Bientôt, il skiait près de l’endroit où il avait aperçu Agathe la première fois. La nuit précédente, le vent avait soufflé en tempête. Sous ses rafales, des monticules de neige s’étaient déplacés, de nouvelles congères s’étaient formées. Toutes traces de ski et de pas avaient disparu sous un manteau de nouveau uniforme. Impossible de suivre la piste d’Agathe ainsi qu’il en avait formulé le souhait.
Il erra donc par-ci par-là, sans but précis. Il s’installait un long moment sur les buttes, au sommet des escarpements, veillant à relever un quelconque phénomène qui lui paraîtrait insolite, une empreinte, une marque. Il glissa des heures durant, l’espoir accroché au coeur. Malheureusement, à part deux moineaux picorant l’écorce d’une branche dans la forêt domaniale, ses observations ne connurent pas le succès recherché.
Ses pensées l’entraînaient déjà vers la chaleur de l’auberge quand une tache sombre surgit de la forêt de sapins. En une fraction de seconde, sa vue s’affûta. En dépit de l’écran de ses verres fumés, il n’en discerna pas moins un mince visage aux joues pâles, deux yeux de mica et une longue chevelure brune.
— Agathe ! s’écria-t-il en s’étranglant à demi.
Aussitôt, il poussa sur ses bâtons. Les skis glissèrent docilement sur la faible pente en direction de la jeune fille. Une dénivellation lui en ôta la vue. Il ne s’en soucia pas. Au contraire. Plus tard elle le verrait, mieux cela vaudrait. Il ne tenait pas à renouveler le triste résultat de l’avant-veille. Deux cents mètres plus loin, il déboucha sur un terrain plat. Cinquante mètres séparaient déjà Agathe de la forêt, une longue distance lorsque l’on marche à petits pas dans la neige, et les pieds mal protégés du froid dans leur bottine abîmée. Ganaël notait ces détails presque inconsciemment tant il se focalisait sur le but à atteindre.
Un crissement, ou peut-être un sixième sens fit tourner la tête d’Agathe alors qu’il s’affairait sur ses bâtons. Dès qu’elle l’aperçut, un petit cri de frayeur monta de sa gorge et elle courut vers les bois.
« Eh, Agathe ? Attends ! cria Ganaël. Agathe, je ne te veux pas de mal. Je veux seulement te parler ! »
Elle accéléra et s’enfonça dans la forêt.
Dix secondes plus tard, Ganaël la suivait. Dans quelques instants, il l’aurait rattrapée.
Les longues mèches brunes voletaient quinze mètres devant lui, presque à portée de main.
— Agathe, attends ! appela-t-il de nouveau, en vain.
Les skis se prirent soudain dans les broussailles dissimulées sous une épaisse couche de neige. Il chuta, se releva, la chevelure brune disparaissait sur la droite. Il suivit cette nouvelle direction pour s’empêtrer dans des racines. Les skis butaient à droite, à gauche, contre une pierre, un arbuste, un fourré. Pour finir, il échoua dans une petite crevasse, la tête prisonnière sous un monceau de neige.
Il s’extirpa malaisément de la gangue glacée, ses mains ne trouvant que peu d’assises stables pour lui permettre de pousser. Il ôta ses skis et résolut de continuer sa poursuite en marchant. La fille avait disparu. Cela n’avait pas d’importance. Ce serait un jeu d’enfant de la retrouver en remontant cette longue suite de pas qui s’imprimaient impitoyablement derrière elle. Il déchanta vite. Les empreintes s’étiraient de façon illogique et rarement en ligne droite. Ils évoluaient en zigzag, bifurquant soudainement dans une direction imprévue au détour d’un taillis. À plusieurs reprises, ils revenaient en arrière. Il en conclut qu’il ne s’agissait pas d’un hasard, qu’Agathe se déplaçait ainsi volontairement dans le but de le semer. Et le résultat ne faisait guère de doute, car il ne cessait de tourner en rond, en suivant indéfiniment les traces qui se recoupaient et se recroisaient sans pouvoir déterminer la bonne.
Alors, il s’arrêta !
Immobile, il abaissa le seuil de son audition. Les pas d’une fourmi en quête de nourriture tonnèrent à ses oreilles. Le vent, inaudible en principe tant il était faible, rugissait tel un dément. Les cristaux de neige crissaient en roulant les uns sur les autres.
Quelque part au loin, des déflagrations sourdes explosaient à intervalles réguliers. Deux pas qui pressaient et compressaient le tapis de neige. La froidure de la neige ralentissait les ondes sonores et sa texture particulière les avalait en partie faisant ainsi supposer qu’ils venaient de plus loin que réellement.
Ganaël bondit en direction de ces bruits. Agathe était là, il le sentait. Quinze secondes plus tard, il tombait nez à nez face à une blonde demoiselle aux yeux bleus rieurs.
— Eloïse ! s’exclama-t-il abasourdi. Que fais-tu ici ?
— La même chose que toi j’imagine. Je cherche Agathe.
— Agathe ? Mais… pourquoi ?
— Et pourquoi pas ? Tu ne possèdes pas le monopole sur les énigmes des environs que je sache. Peux-tu m’avancer une seule raison qui m’empêcherait de résoudre celle-ci également ?
Levant les bras au ciel, Ganaël avoua son impuissance. Incidemment, Eloïse lui apprit son métier de journaliste. Le mystère Agathe l’intriguait singulièrement, parfumant la matière de sa profession dans un piment qui attisait son appétit.
— Soit ! Agis à ta guise, concéda Ganaël. Puisque ce mystère t’intéresse, je te propose d’échanger les informations que nous réunirons sur ce sujet durant nos recherches.
— Top là, camarade !
Leurs mains s’étreignirent en une poignée cordiale. La jeune femme suggéra ensuite de suivre les traces d’Agathe. Il acquiesça sans mot dire et la laissa ouvrir le chemin, le geste distrait, occupé qu’il était à affiner son ouïe et à capter les sons infimes des alentours. Des bruits de bottes massacrant la neige lui parvinrent peu après.
— Par ici, souffla-t-il à l’oreille d’Eloïse en la tirant par la manche.
Elle opina d’un bref mouvement de tête quoiqu’aucune empreinte de pas ne s’orientât dans cette direction. Une silhouette massive surgit brusquement au détour du sapin. La mine rébarbative, les yeux étriqués, la moustache couverte de glace, il pointa le canon de son fusil vers eux.
— Ramitz ! s’écria Ganaël.
— Qu’est-ce que vous fichez là ? Cria le villageois sans baisser son arme un seul instant.
Surpris, les jeunes gens ne surent que répondre. L’homme quant à lui n’en attendait certainement pas malgré sa question. Sa voix tonna de fureur.
— Fichez le camp, d’ici !
La colère gronda dans la poitrine de Ganaël. Il toisa l’individu et riposta froidement.
— Ce terrain appartient à la commune, il me semble. Je ne vois pas au nom de quoi vous êtes habilité pour en ordonner la fréquentation. Nous n’avons donc aucune raison de vous obéir. C’est à vous de nous laisser tranquilles. Bonsoir, monsieur !
La face grise de Ramitz se congestionna brusquement. L’index pressa la détente de fusil. Une détonation formidable meurtrit les oreilles de Ganaël tandis qu’une balle sifflait près de son crâne.
— Je vous ai dit de partir et vous allez vous exécuter sur-le-champ. Il me reste une deuxième cartouche dans le canon et cette fois-ci je ne viserai pas à côté.
Le débit virulent et la violence de sa fureur lui enlevaient toute maîtrise de soi. La figure se tordait de rage et de l’écume s’amoncelait à la commissure de ses lèvres.
Eloïse tira Ganaël en arrière.
— Viens, partons d’ici ! Inutile de chercher l’affrontement. Nous avons mieux à faire.
De mauvaise grâce, il céda à ses remarques. À la lisière des bois, Ramitz les regarda s’éloigner.
— Je déteste qu’on me marche sur les pieds de cette manière ! s’insurgeait Ganaël tandis qu’ils rejoignaient Annie et Noémie, skiant plus haut, sur une butte à quelque distance de la forêt.
— Ne sois pas grognon, voyons ! renchérit Eloïse. Cet homme est fou ! Il aurait tiré, j’en suis certaine. Nous avons agi pour le mieux. Nous reviendrons plus tard continuer notre enquête.
— Plus tard ? Il m’a l’air de vouloir s’incruster au pied de ce vieux sapin, ironisa Ganaël en lançant un dernier coup d’oeil à la forêt. À mon avis, il nous surveillera de loin durant toute l’après-midi. Crois-moi, il ne quittera pas son guet.
— Eh bien, jouons le jeu ! Donnons-lui le change et allons skier. Nous verrons ce soir ce qu’il en est !
La journée se déroula sous l’effervescence de la glisse et le bonheur de bondir sur les pistes en grande partie désertes. Hormis quelques rares vacanciers venus goûter la plénitude des deux semaines creuses, ils avaient la montagne pour eux. Ils skièrent gaiement, déjeunèrent ensemble puis s’aventurèrent vers des lieux, pour eux, inexplorés. À la fin du jour, ils regagnèrent leur hôtel. Le temps de se laver de leurs efforts, de se reposer un brin avant de se retrouver pour dîner.
Alors qu’il s’allongeait sur son lit, Ganaël essaya de se remémorer les événements de la journée. À aucun moment, Ramitz n’avait abandonné son poste d’observation. Si parfois il s’en était éloigné, on voyait toujours son béret et le canon de son fusil apparaître ici ou là, à l’orée du bois. De guerre lasse, Ganaël s’était consacré au ski. Une part de lui conservait en arrière-plan une dent acérée contre le bonhomme.
Les yeux grands ouverts dans l’obscurité de sa chambre, il tentait de discerner le contour des objets. Il n’était que 18 h. Depuis plus d’une heure, la nuit recouvrait la vallée et les hauts pics de la montagne. Dehors, un croissant de lune dispersait une faible clarté. Les volets hermétiques l’arrêtaient en totalité, conservant la pièce dans un noir absolu.
En l’absence de lumière, ses prunelles d’une précision extrême étaient aussi inutiles que pour n’importe lequel des humains. En revanche, son ouïe gardait son acuité. Peu importait qu’il fasse jour ou nuit, les échos renvoyés par les objets et les meubles lui en donnaient la forme exacte au millimètre près. Il distinguait chaque objet aussi nettement que s’il avait utilisé sa vue.
Le bercement de ces sons multipliés à l’infini l’apaisa. Une douce sérénité l’envahit.
Un craquement gigantesque retentit près de la porte, un crissement effroyable hurla. La poignée venait de se baisser, la porte s’ouvrit en un rugissement terrible. Des explosions insoutenables martelèrent la moquette : deux pieds nus qui se posaient délicatement sur le tapis de laine.
Deux fusées tordirent l’air en se propulsant vers lui. Il les cueillit au passage, deux bras qui se plièrent lorsqu’il projeta leur propriétaire sur le plancher.
(La suite au prochain numéro.)
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