L’abominable Homme des Mers – extrait à lire.
Une histoire qui vous entraînera vers les mystères des fonds marins.
Préambule.
Cette histoire est basée sur un fait réel rapporté par Louis Pauwels et Jacques Bergier dans leur livre commun « Le Matin des magiciens » .
Les deux auteurs écrivent que des scientifiques ont photographié par moins 4500 m des empreintes de pas sur le fond marin. Sous forme de clin d’oeil en souvenir du Yéti, ils évoquent l’expression « Abominable homme des mers » .
En référence et en hommage à ces deux personnalités, Patrick Huet a repris cette expression pour en faire le titre de cette nouvelle.
Cette histoire fait donc partie du recueil « Merveilles et Mystères« . De tout ce livre, c’est peut-être celle qui a demandé le plus d’inventivité pour imaginer le monde marin tel que cet homme des mers pourrait le vivre.
(Le livre Merveilles & Mystères fera bientôt l’objet d’une page spéciale sur ce site. En attendant, vous pouvez accéder à sa page chez l’éditeur en cliquant sur ce lien : « Fond marin » .
Voici un extrait de l’Abominable Homme des Mers.
(Publié ici avec l’autorisation de l’auteur)
(Début de l’extrait)
Dans la cellule individuelle qui lui servait de logement depuis sa tendre enfance, depuis le temps où, sevré de sa mère, on lui avait appris les règles de la cité, la vie commune et l’enseignement des arts courants, dans sa cellule donc, Xanty n’arrivait pas à dormir.
Derrière l’écran des doubles paupières qui lui protégeaient les yeux, il devinait la roche poreuse du basalte. Toute la cité avait élu domicile dans ces cavernes profondes depuis un âge immémorial. Et lorsque le peuple originel avait augmenté sa population, de nouvelles grottes avaient été creusées. Fort heureusement, à une époque reculée, des lois avaient été établies qui régissaient la fécondation, de sorte que les cavernes d’Aarn suffirent et que chacun des membres pouvait s’y loger sans problème de surnombre.
Allongé sur sa couche d’algues, les mains palmées sous sa tête, il lissa un moment la crête écailleuse qui courait du sommet de son front jusqu’au bas de ses reins. Une crête dure, solide, aux écailles tranchantes, digne de celles d’un combattant.
« Sans doute serai-je choisi comme Défenseur ! » murmura-t-il.
Le fluide ambré qui emplissait sa chambre frissonna. L’eau coula plus rapidement dans sa bouche et ressortit de même par les branchies de chaque côté de son cou, au-dessus des épaules. Il goûta un instant la saveur poivrée de cette onde puis revint à ses pensées.
« Oui, reprit-il, un Défenseur ! Cela ne fait aucun doute, je serai Défenseur. C’est d’ailleurs ce qu’Arani pense également. Ne me l’a-t-elle pas répété tout à l’heure, avant le dernier cycle des repas ? »
Son esprit fila vers les cavernes du repos, quelques heures plus tôt. Y venaient là, en fin de journée, tous les jeunes mâles et femelles en quête de divertissements, pour jouer à « l’algue menteuse » ou au « crabe solitaire » ou à de multiples autres jeux de société. Cette après-midi-là, le coeur n’était pas aux amusements. Les jeunes mâles se rassemblaient plus volontiers par petits groupes et discutaient entre eux avec une fébrilité inconnue à ce jour.
Le lendemain matin, en effet, devaient se tenir les Oraniales, la grande cérémonie rituelle marquant le passage à l’état adulte. Elle ne se déroulait qu’une fois tous les deux ans, à la demande du comité des Élites, l’organisme gérant la cité. Nul dans les autres classes de la population ne savait ce que signifiait « an », un mot magique certainement, et qui ne les concernait pas.
Du fond de son alcôve, Xanty revit la scène qui s’était passée là quelques cycles plus tôt.
À l’instar des autres jeunes mâles, il déambulait alors nerveusement dans les cavernes du repos, tenaillé par la prochaine tenue des Oraniales, nageant tantôt vers le plafond, tantôt vers le sol, ses pieds palmés donnant des petits coups secs au fluide aquatique.
« Xanty ! » appela une voix douce et chaude à la fois. Les deux antennes qui surmontaient sa tête, et prenaient naissance à l’emplacement dévolu aux oreilles chez les mammifères, ces deux antennes frémirent d’allégresse.
— Arani ! s’exclama-t-il.
Vite, il se propulsa vers la jeune femelle qui s’approchait. Elle était aussi belle que la plus adorable des méduses. Le globe de ses yeux s’ornait de magnifiques doubles paupières d’une délicatesse extrême. Sur les écailles gris argenté de son corps, l’eau glissait comme une caresse. Et sa superbe crête écailleuse n’en finissait pas de s’étirer jusqu’au bas de ses reins avec des éclats bleus opalins.
Leurs mains s’étreignirent. Un moment, ils flottèrent entre deux eaux, à l’écart des autres.
— Arani, s’écria de nouveau Xanty. Sais-tu combien mon coeur est lourd de cette attente ?
— Je le sais, mon ami. Je partage ton impatience, mais tout se déroulera parfaitement.
— Le crois-tu vraiment ?
— Oui ! J’en suis totalement sûre. Tu es l’un des jeunes mâles les plus vigoureux de cette promotion. Les écailles de ta crête sont longues et dures, elles trancheraient les tentacules d’une pieuvre et déchireraient un requin. Comment pourraient-Ils faire autrement que de te poster en Défenseur des cavernes d’Aarn ?
— C’est ce que je me répète, Arani. Il n’empêche qu’au fond de moi persiste une crainte. Si jamais le Comité des Élites me désignait Ouvrier de la cité, la classe la plus défavorisée d’Aarn, c’en serait fini de notre avenir. Ils ôteraient mes attributs de mâle, exciseraient mes organes de reproduction et avec eux, toute possibilité d’union, Arani. Car seuls les reproducteurs ont le droit de s’unir à une femelle et de fonder un couple. Et tu le sais, ne conservent leurs attributs que les Défenseurs et les Élites.
Arani lui serra plus fortement les mains.
— Chasse ces idées noires de ton esprit, Xanty, chasse-les ! Tu es fort, robuste, endurant, qui d’autre que toi ferait un meilleur Défenseur ? Allons, ne prends pas cet air sombre, cela me fait de la peine de te voir ainsi.
Xanty s’ébroua soudainement. Ses branchies palpitèrent plus vivement et son visage se raffermit. Il s’efforça de sourire.
— Tu as raison, Arani, je me fais du souci pour rien. J’appartiendrai à la classe des Défenseurs. Il ne pourrait en être autrement.
Un petit ricanement sec brouilla les eaux jusqu’à leurs antennes. Ils se retournèrent dans un même mouvement pour découvrir à cinq mètres de là, adossé au plafond, le long corps écailleux d’un autre jeune mâle. Ses yeux globuleux n’entrouvrirent leurs paupières internes que dans une légère fente. Et celle-ci était encore suffisante pour que l’on y perçoive une hostilité flagrante.
— Axano ! S’insurgea Xanty. Que fais-tu là à nous épier ?
— Je n’exerce que mon droit le plus strict, susurra le nouveau venu sur un ton doucereux, quoique chargé de malveillance. Il est interdit à un mâle non ordonné par les rites de s’isoler avec une femelle.
— Nous ne sommes pas isolés, répliqua Arani. Ne sommes-nous pas dans les cavernes du repos, nos compagnons à portée de voix ? Tout le monde peut nous voir et nos rapports ne dépassent pas le stade de la parole.
— C’est un fait, reconnut aigrement Axano. Et c’est heureux pour vous ; les hors-la-loi sont durement châtiés.
La mise à mort était de règle dans le cas d’un accouplement illégitime, c’est-à-dire non validé par le Comité des Élites. C’était une question de survie. La reproduction effrénée mènerait à la surpopulation et à la mort de la cité. C’était la bête noire des Élites. Selon les lois ancestrales, l’on ne pouvait se reproduire qu’à une période déterminée et avec un partenaire fixé au préalable. Il allait de soi également que les Élites avaient toute latitude pour choisir la leur, tandis que les Défenseurs, s’ils n’avaient pas conclu un Accord d’Alliance avant les Oraniales avec une femelle, recevaient d’office une partenaire nommée par le Comité.
Toujours accroché au plafond, ses pieds palmés agitant faiblement les eaux, Axano répéta.
— Oui, la sanction est dure pour les hors-la-loi.
— Que nous veux-tu, Axano ? Coupa Xanty. Tu sais fort bien que j’ai conclu Alliance avec Arani. Elle sera ma compagne à l’issue de la cérémonie des épousailles qui suivra les Oraniales.
— Ton épouse ?… Pas si tu fais partie de la classe des Ouvriers ! Les Oraniales en décideront.
Sur ce, il fila promptement vers un groupe de jeunes mâles, abandonnant derrière lui un Xanty furieux.
— Le requin ! fulmina-t-il. Sa langue est plus venimeuse que la queue d’une raie.
— Laisse-le parler ! C’est tout ce qu’il peut faire. Depuis que j’ai choisi entre toi et lui, sa parole est devenue acide, ses réflexions acerbes et ses plaisanteries coupantes. Mais je t’ai préféré, nous avons conclu Alliance et même s’il est retenu en tant qu’Élite, comme c’est probable vu son intelligence, il ne pourra strictement rien contre nous.
« Cela est vrai, se répétait Xanty étendu sur sa couche d’algues. Même en tant qu’Élite, Axano sera obligé de s’incliner devant la loi. Une alliance ne peut être défaite ; ainsi veut la loi dans la cité d’Aarn. Il se cherchera une femelle non engagée et l’épousera, voilà tout ! »
En s’assoupissant, il songea que, pour les cycles à venir, Axano avait toutes les chances d’entrer dans les arcanes les plus élevés de l’administration de la cité, voire au Comité des Élites. C’était un jeune mâle brillant. Plusieurs fois déjà, il avait été convoqué par le Comité et la dernière, pas plus tard que l’avant-veille. Rien n’avait filtré de ces entretiens, Axano s’entendait pour laisser planer le mystère autour de lui. Tous les futurs promus s’attendaient cependant à le voir devenir Elite. En dépit de sa mauvaise humeur continuelle, Axano était vif d’esprit et de paroles… et rusé comme une pieuvre !
Le sommeil de Xanty fut lourd et bref. Une sonnerie de gong le réveilla en sursaut. Son corps fatigué s’élança pourtant légèrement au-dessus de sa couche.
Les vibrations, longues puis courtes, longues puis courtes, emplissaient les eaux d’un bourdonnement hypnotique.
L’heure des Oraniales approchait. En compagnie des autres mâles de sa promotion, il se rendit au jardin des purifications. C’était une pièce où l’on cultivait une espèce d’algue aux feuilles charnues, à la saveur âcre. Les branchies de Xanty remuèrent pour mieux les sentir. Chacun arracha une poignée de feuilles et s’en frotta les écailles jusqu’à les faire briller de propreté.
Quand les purifications prirent fin, un Ouvrier obscur les mena jusqu’à une grande salle en plein coeur des cavernes d’Aarn. Le hall immense s’étageait de gradins sur lesquels toute la population disponible de la cité avait pris place. La classe des Ouvriers occupait tous les degrés inférieurs. Les Défenseurs, ceux du milieu. La rangée supérieure n’avait jamais connu que des Élites. Au centre de cette dernière, un tapis d’algue émeraude indiquait l’emplacement du Comité des Élites, les véritables administrateurs de la cité. Sur un rang à l’écart, au fond de la salle, trop loin pour qu’on puisse distinguer leur visage, se tenaient les jeunes femelles en attente d’épousailles.
FIN DE L’EXTRAIT.
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