Les Hortours – chapitre 3

Le troisième chapitre du roman – Un signe de mort.

A lire gratuitement ci-dessous le troisième chapitre du roman de Patrick Huet « Les Hortours – dans l’enfer de la jungle » . Présenté ici avec l’autorisation de l’auteur.

Roman de science-fiction les Hortours, de Patrick HuetDans ce chapitre vous pénétrerez dans les arcanes de la Tour, vous découvrirez le véritable dictateur de cette société autarcique.

Vous découvrirez aussi la rivalité entre la garde noire et la guilde des savants, et la façon dont ils maintiennent la population dans un état de soumission.

Genre : roman de science-fiction.

Plan de cette page.

1- Note d’explication.

2- Résumé des épisodes précédents.

3- Début de la lecture.

4- Où acheter ce livre ? Pour ceux qui le souhaitent.

1- Note d’explication.

Dans le but de partage avec ses lecteurs de nouveaux écrits, Patrick Huet a voulu proposer plusieurs de ses romans en lecture libre.

Le roman « Les Hortours » (publié en tant que livre papier) est donc aussi diffusé ici par chapitre sur notre site.

Important. Ce chapitre est publié ici pour votre agrément. Sa lecture est libre, mais pas sa reproduction.

Tout le texte est soumis au copyright de Patrick Huet. Si vous souhaitez en reproduire des passages, nous vous remercions de contacter l’auteur pour en obtenir l’autorisation.

Exception pour les enseignants. Patrick Huet autorise ces derniers à utiliser ou reproduire ce chapitre auprès de leurs élèves, à condition que ce soit uniquement dans le cadre de la classe et bien sûr gratuitement.

2- Résumé des épisodes précédents.

Vaaxor, dernier rescapé d’une tribu décimée par les fauves, s’est construit une hutte dans les branches d’un arbre pour se tenir hors d’atteinte des prédateurs de la jungle.

Il l’ignore encore, mais sa tribu n’a pas toujours vécu dans la jungle. C’était au départ un groupe de personnes provenant d’une tour immense qui réunissait l’ensemble des habitants de la contrée. Haute de 5 km, sur une base au sol de 50 km²,et comportant des salles de culture, elle leur permet de vivre en autarcie.

Ce groupe de personnes avait fui la dictature qui avait surgi et pris les habitants au piège de son autorité.

Quand un énorme gorille détruisit sa hutte, Vaaxor se réfugia dans une grotte le long d’une falaise proche, échappant de peu aux griffes d’un zac, un des plus terribles fauves des alentours. Il n’abandonnait jamais une proie.

Durant cette nuit-là, il rejoignit en rêve une jeune fille d’une grande beauté – Lahiline.

Leur conversation se termina brusquement alors que Vaaxor se trouvait emporté à travers les airs. Il n’eut que le temps d’apercevoir l’immense tour où résidait Lahiline.

Du côté de Lahiline.

De son côté, Lahiline se réveilla en sursaut.

Elle ne réside pas dans la Tour, mais sur sa terrasse immensément large. En effet, si la base au sol est de 50 km², le sommet s’étire sur 10 km².

Le clan des Hortours (ceux qui refusent l’autorité de la Tour) s’est réfugié ici depuis plus de cent ans.

La Tour elle-même comporte 2 000 étages. Toutefois, faute d’entretien, les derniers étages au-dessous de la terrasse sont en ruine et par endroits totalement effondrés. La milice du dictateur (la Garde noire) n’y vient jamais, car les risques d’effondrement sont permanents.

Lahiline est considérée par les siens comme une déesse.

Elle possède le pouvoir de parler aux plantes et d’en accélérer la croissance. D’un simple noyau, elle obtient un arbre chargé de fruits. Ceci juste en quelques minutes, rompant ainsi la disette que subissaient les Hortours depuis des années.

Le chef des Hortours vint réclamer l’aide de Lahiline. Un mystère l’inquiète terriblement. Six de ses hommes ont disparu sans que nul ne sache comment auprès des anciennes couveuses. Là où s’élevait autrefois un zoo (pour l’agrément des habitants) et où l’on prenait soin d’oiseaux très étranges.

Sans le savoir, Lahiline et le chef des Hortours échappent de peu à l’attaque d’une volée de chachiuas, d’énormes chauves-souris vampires aux serres aiguisées et à l’appétit insatiable.

3- Début du chapitre 3 (ici commence la lecture).

(Ce texte est sous copyright et ne peut être reproduit sans l’accord de l’auteur.)

Chapitre 3 – Un signe de mort.

Bien des étages plus bas, au centre de la Tour, un homme grand, à l’embonpoint naissant se vautrait dans un large siège moelleux. Une jeune femme, court-vêtue et le regard absent, lui versait à boire dans un verre de cristal. Une autre posait sur la table devant lui divers plats fumants. Elle aussi arborait cet air vague et détaché du monde réel.

Une troupe de danseuses habillées de plumes et de dentelles évoluaient languissamment sur les notes d’une musique suave diffusée par un appareil suspendu à un mur. Elles virevoltaient à pas lents, sans aucune contrainte d’espace tant la pièce était immense. Les yeux noirs et féroces de l’homme se délectaient des formes ondoyantes à demi nues. Son regard s’attardait sur leur peau rose aux reflets légèrement bleutés.

– Excellence, encore un peu de palmi ? demanda d’une voix éteinte la fille chargée des boissons. Sa peau à elle aussi luisait d’un faible éclat bleu.

– Pour sûr, ma belle ! Un bon repas s’accompagne toujours de palmi.

Un liquide rosé emplit le verre de cristal que l’homme vida d’un trait. Il se rejeta en arrière, au fond de son siège, avec un sourire de satisfaction.

– La fonction de Dictor possède des côtés agréables : de la musique, des filles ! Chacun des habitants de la Tour qui m’obéit au doigt et à l’œil… Voilà ce que j’appelle une belle vie ! Venons-en maintenant à d’autres divertissements.

Une sonnerie tinta brusquement. Un petit appareil rectangulaire, de plastique noir, et pas plus gros qu’une main, s’était mis à sonner. Le Dictor pesta et cria à l’intention de la fille la plus proche.

– Passe-moi le visionneur !

La jeune femme le lui apporta servilement, yeux baissés. L’homme le saisit brutalement et appuya sur une touche. La partie supérieure du visionneur s’éclaira tel un écran. Un visage dur apparut dans l’étroite lucarne.

– Zortac ! s’exclama le Dictor sur un ton rogue. Par le sang des damnés, si tu n’as pas une bonne raison de me déranger ainsi au beau milieu de mon repas, je te réserve une surprise des plus cuisantes.

L’image dans le visionneur ne broncha pas. La tête large au crâne presque rasé conserva sa fixité. Seules les lèvres remuèrent.

– Excellence, il s’agit d’une nouvelle de la plus haute importance. Vous me blâmeriez si je ne vous en révélais pas la teneur sur-le-champ.

– Trêve de bavardage, Zortac ! De quoi est-il question ?

– Il s’agit de… de Hortours !

Le Dictor bondit hors de son siège. Dans son mouvement, il emporta son verre qui se brisa contre le pied de la table.

– Des Hortours ?! Et tu attends tout ce temps pour m’en informer ? Où donc es-tu ?

– À la morgue… avec le Hortour.

– Vivant ?

– Mort.

Le Dictor grimaça un sourire déçu.

– Dommage ! Nous l’aurions fait parler. Je connais des méthodes qui rendent un homme plus bavard qu’un oiseau lorsqu’on les lui administre. Même si les Hortours que nous avons capturés ont toujours trouvé un moyen de mettre fin à leurs jours avant que nous puissions les contraindre à répondre à nos questions. Enfin, un Hortour mort vaut mieux que pas de Hortours du tout. J’arrive de suite.

Une des filles continuait de garnir l’assiette devant la table d’une préparation odorante.

– Votre Excellence ne veut-elle pas déjeuner avant de partir ?

– Au diable cela ! J’ai plus important à faire qu’à me remplir l’estomac.

Sans aucun égard pour la deuxième fille qui ramassait les morceaux épars de son verre, il marcha précipitamment au travers des débris et, d’un seul coup de genoux, renversa la malheureuse sur son chemin. Il plaqua la visionneuse à sa ceinture. Son revêtement magnétique la maintint collée. Sa main rêche agrippa un laser et l’accrocha de la même façon à la ceinture, sur la hanche droite.

Élarac, dictateur suprême de la Tour, ne quittait jamais ses appartements sans une arme.

Deux gardes, en uniforme noir à l’étoile-d’argent, protégeaient sa porte. En sortant, il les héla.

– Vous deux, suivez-moi !

– À vos ordres, Excellence.

De même, Élarac ne se déplaçait qu’accompagné de deux hommes sélectionnés par ses soins parmi les escadrons les plus proches de lui, ses troupes d’élite. Il connaissait chaque pensée des élus de ces unités spécialement dédiées à sa personne. Ils les avaient triés depuis l’enfance puis endoctrinés savamment. Chacun de ses membres se serait tué pour lui. Malgré tout, un laser balançait toujours à sa hanche, quelle que fût la destination de ses pas.

Il pénétra dans un tube creusé au milieu d’un couloir. Le tube s’étirait en bas et en haut sur une longueur impossible à définir. L’œil se perdait dans ses hauteurs et ne parvenait pas à en capter la profondeur. Toutefois, aucun des hommes ne chuta. Ils marchaient dans l’air comme suspendu à une plaque de verre transparente.

Élarac se tourna vers l’un des gardes.

– Nous nous rendons à la morgue. Secteur 2 Ouest, étage 800. Programme l’ascenseur antigravitique pour ce niveau.

Un chef ne devait rien exécuter par lui-même. Telle était l’opinion d’Élarac. Et en tant que Dictor de la Tour, titre qu’il s’était octroyé par la force, il aimait voir les êtres autour de lui obéir à chacun de ses gestes.

Le garde appuya sur des touches lumineuses incrustées dans l’encadrement rouge, là où une porte aurait dû s’y loger s’il s’était agi d’une salle. Les touches brillèrent plus fortement sous le travail du doigt. L’air s’irisa à l’intérieur du tube et les trois hommes descendirent à une vitesse fulgurante deux cents étages au-dessous sans être affectés par la compression de l’accélération. Ils se dirigèrent ensuite sur la droite, obliquèrent sur la gauche et débouchèrent sur le même type d’ouverture rectangulaire. Seulement, ici, l’encadrement était vert et le tube, non pas vertical mais horizontal.

Le diamètre énorme de la Tour, sept kilomètres, exigeait un moyen de déplacement adapté à ses dimensions. Il aurait fallu des heures de marche à pied pour aller d’un point à un autre puis en revenir. Les tubes supprimaient cet obstacle.

À l’intérieur donc de ce tube vert, le garde pianota sur les touches de l’encadrement. De nouveau, l’atmosphère s’irisa et les hommes se déplacèrent à une allure folle à travers le huit centième étage. Il n’y eut ni accélération ni freinage, juste un départ et un arrêt subit. Les tubes antigravitiques annulaient les forces d’attraction. Les murs autour d’eux, constamment unis, leur donnaient l’impression d’une absence de mouvement. Néanmoins, des encadrements verts défilaient devant leurs yeux à un rythme impressionnant. Les ouvertures, disposées tous les cent mètres, permettaient aux habitants de se déplacer avec la plus grande facilité.

La lumière irisée s’éteignit alors qu’ils stoppaient face à l’une de ces ouvertures.

– À la morgue, maintenant ! ordonna Élarac d’un ton sec.

Un des gardes lui ouvrit le chemin, le deuxième le suivit, protégeant ses arrières. Le Dictor régnait d’une main de fer sur la Tour. Il avait de longue date mâté toute velléité de révolte ; cela ne le rendait que plus nerveux. Naturellement porté au soupçon, il n’accordait réellement sa confiance qu’à ses troupes personnelles, forgées par lui-même.

Une pièce longue aux murs d’un blanc éclatant accueillit bientôt leurs pas. Contre l’une des cloisons, de grands meubles immaculés, ornés d’une multitude de poignées, inspiraient l’inquiétude.

Le claquement des semelles d’Élarac sonna durement dans la salle. L’homme au visage large et au crâne rasé accourut aussitôt. Son uniforme noir rayé d’argent mettait en valeur sa carrure solide.

– Excellence, soyez le bienvenu !

Le Dictor le coupa sèchement.

– Le Hortour ?

– Par ici, Dictor, veuillez me suivre.

Élarac se tourna vers ses gardes.

Attendez-moi à la porte et que personne n’entre sans mon autorisation !

Puis il emboîta le pas de Zortac.

Ils dépassèrent une cloison et pénétrèrent dans une deuxième salle plus petite. Des instruments chirurgicaux étincelaient sur un plateau. À proximité, une table d’un blanc immaculé soutenait un corps desséché. Un homme en blouse blanche l’examinait attentivement en prenant des notes. Tout comme les filles dans les appartements et les gardes en uniforme, la peau de Zortac et de cet homme aux allures de scientifique luisait d’un faible éclat bleuté. Seule exception à cette règle : Élarac, dont le visage dur ne reflétait que la méchanceté. Le cadavre du Hortour non plus n’arborait pas cette lueur bleue.

L’homme à la blouse tourna sa figure émaciée vers le nouvel arrivant. Ses petits yeux vifs s’allumèrent d’une étrange flamme. Il se précipita vers Élarac et courba servilement le dos.

– Excellence, c’est un grand honneur pour moi que de contempler votre grandeur.

– Trêve de flatterie, Samra, je n’y suis pas sensible !

Cependant, un sentiment d’orgueil gonflait la poitrine d’Élarac. Pas sensible à la flatterie ? Peut-être. Mais à la servilité, très certainement !

– C’est donc lui ? interrogea le Dictor en désignant le corps sur la table.

– Oui, Excellence, ronronna Samra. C’est le Hortour.

– Zortac, où l’as-tu trouvé et dans quelles conditions ?

– Une équipe de planteurs avait pour mission de déblayer un espace effondré au cent cinquantième niveau. Elle devait préparer l’endroit pour y développer la culture d’une nouvelle sorte de végétaux. Cet espace s’étend sur environ deux cents mètres et touche l’extrémité de la Tour. Certaines des vitres, pourtant de très haute résistance, étaient fracassées – par la chute de poutrelles, je suppose. Les ouvriers ont commencé leur travail. C’est alors qu’ils ont repéré ce corps parmi les décombres. Sa peau ne reflétait pas de lueur bleue. Selon vos ordres, nous prenons tous cette pilule qui bleuit légèrement notre peau et qui nous différencie, nous serviteurs de la Tour, de ceux qui l’ont réfutée. Les réfractaires – les Hortours ainsi qu’on désigne ceux qui refusent l’autorité de la Tour, c’est-à-dire la vôtre Excellence – et qui se terrent quelque part dans les entrailles de notre cité.

– Nous les aurons, tu peux m’en croire, Zortac ! Continue !

– Tous les habitants de la Tour reflètent donc une lueur bleutée. À part vous, Excellence, puisque telle est votre choix. Mais nous connaissons votre visage, votre portrait est affiché dans chaque cellule de vie. Impossible de vous confondre avec un Hortour. Les deux cent mille âmes, qui composent notre cité, savent que quiconque n’émet pas cette lueur bleue n’appartient pas à la communauté. C’est un Hortour, un ennemi ! Dès que l’équipe de planteurs aperçut le cadavre, elle nous informa de sa découverte. Mes hommes sont intervenus immédiatement. Je leur ai demandé de ramener le corps à la morgue, de verrouiller l’espace effondré et de poster des sentinelles devant chaque entrée.

– Tu as bien agi, Zortac. Je n’attends rien de moins du chef de la Garde Noire.

– Je n’ai fait que mon devoir, Excellence.

– Continue ainsi, à me servir diligemment, et tu conserveras ta place à la tête des gardes noirs pour de nombreux siècles encore.

Zortac salua selon le mode des militaires, en se raidissant et en claquant les talons d’un mouvement sec. Élarac se pencha au-dessus du cadavre. Il loucha sur un des pieds dépourvus de chaussures puis sur les traits tirés à l’extrême du visage, sur la peau tendue et desséchée au point de ressembler à un vieux parchemin.

Samra commenta.

– Il a été vidé de son sang.

– Quand est-il mort ?

– Depuis quelques heures. D’après les analyses, la mort est survenue cette nuit vers les deux heures du matin. L’homme n’a pas dû souffrir, regardez !

Il souleva la nuque. Une boursoufflure s’étendait à la base du crâne. L’os bougeait sous ses doigts.

– Un coup franc et net lui a fracturé la boîte crânienne. Il est mort sur le coup. Ensuite, son agresseur n’a eu qu’à trancher sa gorge et à en boire le sang.

Le Dictor frissonna. Il se redressa vivement.

– Ce sont là les méthodes d’un chachiua.

– Vous avez raison, Excellence. Voilà bien la signature de ces vampires.

– Des vampires, oui ! Mais peu importe ! Nous avons un Hortour sous la main. Même à l’état de cadavre c’est mieux que rien. Cela fait une éternité que nous n’avions vu un de ces maudits réfractaires. Depuis des années, ils n’ont donné signe de vie.

– Ils viennent de nous donner un signe de mort, votre Excellence, ironisa Samra en se frottant les mains et en ricanant d’une voix âpre.

Élarac émit un ululement sinistre.

– Un signe de mort !… Hé hé hé !… Samra, je ne te connaissais pas ce talent pour les jeux de mots. Pour un scientifique, tu sais être bon camarade.

Dans un petit geste d’humilité, le savant répondit.

– Le plaisir de distraire votre Excellence me ravit profondément.

Le Dictor le dévisagea un moment. La soumission de son interlocuteur le mit en joie.

– Il faudra que je t’invite un jour à partager l’un de mes festins. Je manque parfois de convives et de bons mots.

– Cet honneur m’enchante déjà, Excellence.

Abandonnant le savant à ses courbettes, Élarac s’était de nouveau penché au-dessus du Hortour.

Samra redressa ses épaules sous l’œil sévère de Zortac. Les deux hommes échangèrent un regard haineux puis Samra tourna le dos au chef de la Garde Noire.

Le Dictor rompit le silence.

– Le Hortour est mort cette nuit même. Cela signifie qu’ils n’ont pas disparu. Ils ont survécu à l’abri quelque part dans la Tour. Tant qu’ils existeront, ils constitueront une menace à mon pouvoir. Il nous faut absolument les détruire. Zortac, où en sont les poursuites des Hortours ?

Le visage du chef de la garde s’imprima d’une gêne manifeste.

– Alors ? Le rudoya Élarac.

– Votre Excellence, nous n’avions plus de signes de Hortours depuis près d’un siècle, aussi…

Une colère noire traversa les pupilles du Dictor.

– Ne me dis pas que tu les avais abandonnées ?

– Non, Excellence, je veux dire, pas toutes. Plusieurs unités continuent de patrouiller à la recherche des Hortours. Il fallait aussi s’occuper du reste de la population. La drogue diluée dans l’eau des canalisations les rend obéissants, des esclaves, ainsi que vous le souhaitiez. Malheureusement, elle leur ôte aussi tout pouvoir de réflexion et de décision. Si personne ne leur donne d’ordre, ils se tiennent prostrés dans leur logis. Des cloisons se fissurent, des planchers s’effondrent de plus en plus. La majorité de mes hommes s’emploie à faire travailler la population dans les serres ou aux réparations les plus urgentes. La Tour se délabre peu à peu, votre Excellence. Beaucoup de secteurs sont actuellement inaccessibles en raison des éboulements.

– La Tour est plus vaste qu’une montagne. Que des niveaux s’affaissent par-ci par-là, quelle importance ? Avec ses sept kilomètres de diamètre et ses cinq kilomètres de hauteur, cela ne l’affectera en rien. Je veux que tu mettes toutes les forces disponibles à la recherche des Hortours ! Les serres et les travaux attendront bien quelques jours.

– À vos ordres, Excellence.

– Je veux que tu passes la Tour au peigne fin. Pièce par pièce, niveau par niveau. L’un après l’autre ! Et tu commenceras autour de l’endroit où l’on a ramassé ce cadavre.

– Ce sera fait, Dictor. Je dois cependant vous informer qu’il y aura sans doute des pertes.

– Des combats avec les Hortours ?

– Votre Excellence, pour être franc, ce que je crains surtout ce sont les éboulements. Les secteurs en ruine sont extrêmement dangereux. Il suffit par moments d’une vibration un peu trop forte pour qu’un bloc de ciment dégringole du plafond.

– Tes hommes n’ont qu’à se déplacer en silence.

– Je les en aviserai, Excellence. Il demeure toutefois un autre problème.

– Lequel ?

– Les chachiuas ! Il en surgit parfois des bouches d’aération dans les zones effondrées. On ignore exactement leur nombre. Certains arrivent à pénétrer la nuit dans les sections habitées et l’on relève de temps à autre des corps desséchés.

– Tu ne m’apprends rien, Zortac.

Samra voulut y apporter de sa verve.

– Et que sont quelques cadavres pour le Dictor tout puissant de la Tour ? Tu ennuies notre Excellence avec ces futilités.

Zortac le foudroya du regard.

– Cela signifie surtout qu’il nous faudra combattre ces maudites chauves-souris dans les quartiers délabrés. Le choc des sabres provoquera du bruit et donc un risque élevé de se faire écraser par des blocs ou même un plafond entier.

La voix aigre de Samra, irritante au possible, réprimanda le chef des gardes noirs.

– Pourquoi utiliser des sabres ? Les lasers ne suffisent-ils pas ? Ils sont silencieux et ne créeront pas d’effondrements.

Les yeux de Zortac s’injectèrent de sang. La colère lui empourpra les joues.

– Chien de Samra ! Tu sais parfaitement que les batteries énergétiques de nos lasers s’épuisent au fil des années. La plupart d’entre eux ne fonctionnent plus. Seuls les chefs d’escadre disposent d’une arme laser. Si toi et tes roquets de scientifiques aviez plus d’imagination, vous auriez trouvé un moyen de les recharger et nous n’aurions pas à forger des sabres pour armer nos hommes.

– Les seuls qui détenaient le savoir nécessaire sont morts depuis…

– Assez !

La sommation brutale d’Élarac tonna dans la pièce blanche. Ses yeux cruels se fixaient tour à tour sur chacun des protagonistes.

– Par le sang des damnés, moi seul ici possède le droit d’élever la voix !

Samra se recroquevilla et miaula faiblement.

– Mille pardons, Excellence, je suis navré de cet écart de comportement. Cela ne se reproduira plus, je vous l’assure.

Le Dictor se tourna vers Zortac qui s’excusa brièvement. Pas suffisamment toutefois au goût du dictateur, ce qui renforça son mécontentement.

– Que l’on en finisse avec cette conversation ! Zortac, trouve-moi ces Hortours et vite !

Élarac s’attendait manifestement à le voir sortir à l’instant Zortac ne comprit pas l’ordre non formulé du Dictor.

– Excellence ?

– Quoi donc encore ? Par le démon ! Des hordes de réfractaires s’amusent dans les niveaux de la Tour et tu restes là à traînasser plutôt que de leur faire la chasse !

L’homme ne cilla pas sous les reproches. En bon militaire, il souhaitait transmettre l’intégralité des éléments en sa possession et les analyses qu’il en avait tirées.

– Excellence, il est de mon devoir de souligner un point important. Ainsi que je vous l’ai mentionné, le corps se trouvait dans un secteur périphérique donnant directement sur le dehors. Les fenêtres et les vitres en étaient brisées. En ce cas, le chachiua pouvait tout aussi bien venir de l’extérieur. Nous connaissons leur façon de procéder, ils assomment sa proie et les emmènent dans un endroit sombre pour s’en repaître.

– Et alors ?

– Nous pouvons dès lors concevoir que sa victime ne provenait pas de l’intérieur de la Tour mais de l’extérieur.

– De l’ex…

– Oui, Excellence, de l’extérieur. Si nous n’avons relevé aucun signe des Hortours depuis près d’un siècle, il faut nous rendre à l’évidence qu’ils ont coupé tout lien avec notre cité et que, désormais,’ils vivent réellement hors de la Tour.

– Hors de la Tour ? Ta raison chavire, Zortac. Comment pourraient-ils ne serait-ce que survivre sans la protection de nos murs et de notre civilisation ?

– Je suppose que ce serait difficile, mais faisable.

– Dans la jungle ? Au-delà de la ceinture que nous avons stérilisée avant la construction ?

– Pourquoi pas ? Selon les chroniques, au début des temps, notre peuple s’est scindé en deux parties. La plus importante a bâti cette tour et l’autre opta pour la vie au grand air.

– La légende nous rapporte également le destin de ce deuxième groupe. Assaillie par les fauves et les pièges de la jungle, leur organisation s’effondra en quelques mois. Si quelques tribus ont résisté et ont lutté pour défendre leur peau, elles n’ont pas dû échapper longtemps aux fauves et autres terreurs qui hantent les lieux. Les chachiuas nous viennent de là-bas, d’ailleurs. Nous en avions capturé quelques-uns pour les exposer dans le zoo qui se trouvait sur le toit de la Tour. Ces sales bêtes se sont enfuies, j’ignore comment, et se cachent dans les recoins des cinq derniers étages effondrés. Elles ont la peau dure, comme toutes les horreurs de la jungle. Oublie cette folie, Zortac, nul ne peut survivre à l’extérieur. Si nos ancêtres ont bâti cette Tour, c’est que justement la vie humaine est impossible ailleurs. Ce monde n’a jamais été le nôtre. Les légendes le rapportent clairement. Nous venons d’ailleurs. Peu importe d’où ! Occupe-toi donc de fouiller la Tour en tous sens ! Je veux que d’ici trois jours les têtes des Hortours roulent à mes pieds !

Zortac salua le Dictor d’un claquement de talon et quitta la morgue.

Élarac le regarda s’éloigner d’un air mécontent.

– Zortac est un bon soldat, mais il est parfois irritant.

L’œil torve, Samra lissa le tissu immaculé de sa blouse tout en observant.

– Il en est ainsi depuis trois cents ans.

– Oui, trois cents ans.

Le savant, avec la prudence d’un loup, choisit chacun de ses mots.

– C’est le troisième chef de la Garde Noire depuis votre accession au titre suprême de Dictor, Excellence.

Élarac ne regardait rien de précis. Ses yeux erraient sur le cadavre du Hortour. Il répondit négligemment.

– En effet, le troisième. Ses prédécesseurs n’avaient plus ma faveur.

– Vous avez su vous en séparer en temps voulu, Excellence. Vous savez toujours quelles actions entreprendre pour la bonne marche de la Tour.

Le scientifique n’en ajouta pas plus.

Si le dictateur sentait qu’il lui forçait la main, il réagirait à l’inverse de ce qu’il souhaitait et c’est lui, Samra, qui serait alors l’objet de son courroux. Samra laissa donc ses paroles suivre leur cours dans l’esprit du Dictor. À un moment ou à un autre, elles atteindraient leur but.

Élarac bomba la poitrine, plein d’orgueil.

– Je suis la Tour ! Et comme tu le dis, je sais ce qu’il lui faut. Le bien-être de la Tour exige que ses habitants vivent en parfaite sécurité, celle que je leur procure ! Les Hortours les menacent en rompant l’harmonie de la Tour. Nous les exterminerons ! Zortac nous apportera leurs têtes. C’est un bon soldat, parfois enclin à pinailler sur des détails. Il n’en demeure pas moins qu’il a toujours exécuté mes ordres à la lettre.

– Et si cette chimère de considérer les Hortours vivant hors de nos murs le travaille ?

– Il la chassera vite de ses pensées. Si dans une semaine, il ne me fournit aucun résultat, je lui supprime l’élixir de vie.

Un reflet sinistre alluma une joie malsaine dans le regard d’Élarac. Il retroussa ses lèvres en un méchant sourire.

– Je n’ai assisté que deux fois à un pareil spectacle, lorsque je me suis débarrassé des prédécesseurs de Zortac ! Eux aussi recevaient de l’élixir de vie, cette boisson qui permet de vivre indéfiniment, à condition qu’on en prenne toutes les deux semaines. Passé ce délai, le corps se ratatine progressivement. Un mois plus tard, il n’en subsiste plus qu’un tas d’os. Crois-moi, Samra, une telle mesure dissipe bien des chimères et donne des ailes à l’homme le plus couard. Zortac nous réservera des prouesses. Comme nous, il tient à l’élixir de vie. À propos…

Élarac planta ses yeux cruels dans ceux, fuyants, de Samra.

– Dis-moi donc, l’élixir, pas de problème de ce côté ? Et la drogue d’esclavage, où en est-on ?

Un petit rire sec monta de la gorge du savant.

– Les plantes produisant la sève nécessaire à la composition de la drogue d’esclavage arrivent à maturité selon le calendrier prévu, Excellence. Nous avons déjà envoyé des habitants cueillir les fameux épis. Demain soir, la récolte de la serre numéro 5 sera terminée et nous reconstituerons nos stocks faiblissants. Heureusement, l’essence que l’on tire de ces épis est si concentrée que quelques gouttes suffisent à imprégner mille mètres cubes d’eau. Quant à l’élixir, là aussi, aucun problème. Les plantes qui entrent dans sa composition poussent normalement. Et nous disposons de réserves pour encore une année. Je les surveille étroitement. Je ne pourrais m’en passer, vous le savez bien. Nos intérêts se rejoignent.

– Sur ce point, je n’en doute pas. J’insiste cependant pour que tu partages le secret de sa fabrication avec d’autres de tes collègues et que tu me transmettes une copie de cette formule afin que, quoiqu’il survienne, on puisse toujours en fabriquer. C’est aussi pour ton bien. Suppose qu’une maladie te laisse inerte au moment où nos stocks touchent à leur fin. Ce serait irrémédiable pour toi comme pour nous. Tandis que dans le cas inverse, tu aurais l’assurance que l’on prendrait soin de ta personne et qu’on t’en administrerait quel que soit ton état de santé.

Faisant mine de repositionner le corps du Hortour, Samra, la tête penchée, ne put réprimer un sourire fugace.

– Nous avons déjà discuté de ceci de nombreuses fois, Excellence. Depuis que vous avez pris en main les destinées de la Tour voici plus de neuf cents ans. Je vous fournis l’élixir de longue vie et en échange…

– En échange je t’accorde ainsi qu’à tes collègues tout le confort possible et imaginable, même les esclaves féminins dont tu peux te servir à ta guise. Le marché est correct, Samra.

– Tout à fait, Excellence.

Les paroles de Samra coulaient, neutres. Toutefois, si son visage chafouin paraissait indifférent, son cœur grondait de rage. Le marché n’était pas, mais alors pas du tout équilibré. Un peu plus tard, après que la porte de ses appartements se fut refermée hermétiquement derrière lui, il laissa exploser sa colère.

– « Le marché est correct »… ce démon d’Élarac me nargue ! Non, le marché n’est pas correct ! À quoi servent le confort et les esclaves quand on est enfermé à perpétuité dans une cage ? Voilà près de neuf cents ans qu’Élarac s’est débarrassé de la Guilde des Savants. Le serpent ! Il s’est joué de nous alors qu’il était à notre service et qu’en simple chef d’une unité militaire, il mettait ses soldats à notre disposition pour que nous, savants, prenions la tête de la cité. C’est à nous que devait revenir la dictature de la Tour ! Ce minable nous a dupés. Dès qu’il a eu en main la direction de l’ensemble des forces militaires, ce petit chef d’escadron s’est enflé démesurément. Il a déployé ses tueurs pour assassiner les membres de la Guilde. Seule une fraction d’entre nous a pu sauver sa peau. Parce qu’il fallait bien faire marcher les installations et les énormes machineries de la Tour. Et ce ne sont pas ses militaires bornés qui en auraient été capables.

D’un geste plein de fureur, il envoya un plateau voltiger à travers la pièce, puis un verre, puis un siège encore. Cet accès de colère n’apaisa qu’extérieurement sa rage. Il se campa face au meuble renversé et aux débris de verre. S’adressant à eux comme à un être vivant, il martela.

– J’aurais ta peau, Élarac ! Aujourd’hui, je suis astreint à ne me déplacer que dans ce secteur limité, entre les niveaux mille cinq cent et mille cinq cent dix. Il m’est interdit de sortir de cette zone et si jamais j’enfreins tes ordres, je serais consigné dans mes appartements. Tu me tiens prisonnier dans une cage dorée, et ceci parce que je détiens le secret de fabrication de l’élixir de longue vie. Sans cela, tu m’aurais éliminé comme les autres, car je faisais partie du conseil supérieur de la Guilde. Ce conseil qui t’avait accordé sa confiance. Mais je ne suis pas pressé, Élarac. Les années ne comptent pas lorsque l’on dispose du pouvoir de vivre indéfiniment. Ce qui n’était pas possible voici trois cents ans le deviendra bientôt. Soigneusement, j’ai caché les documents qui enseignaient comment recharger les batteries des lasers. Presque toute la Garde est désarmée, elle est revenue à l’âge du sabre. Dans quelques mois, les derniers lasers seront inactifs. Combien de temps se passera-t-il avant que les dix mille hommes de la Garde Noire comprennent que seule la puissance des muscles sera alors digne de valeur ? Muni d’un laser, un homme déterminé peut détruire une armée qui en est dépourvue, pas s’il ne possède qu’une simple épée. Qu’il détienne ou non un grade, à ce moment-là, seule la force brutale aura le dernier mot. Et je saurais distiller ce message, Élarac. Je saurais qui choisir pour te renverser et saisir ce pouvoir qui m’est dû. Et cette fois-ci, crois-moi, je ne commettrais pas d’erreur !

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